Tiphaine, bénévole de la maraude du secteur Cadet, nous fait le plaisir de raconter l’une de ses dernières maraudes en mettant l’accent sur les personnes que nous sommes amenées à rencontrer lors de nos balades.
Deux maraudes à mon actif à ce jour et j’en suis déjà ravie.
Ravie, en tant que luciole, d’apporter un peu de lumière, ne serait-ce qu’un court instant, à des hommes et des femmes isolé.e.s – totalement ou partiellement – de la société.
Emue d’entendre leurs histoires, touchantes et différentes, parfois surprenantes ou quelque peu alambiquées. Pour certaines, je m’y attachais et – au fond de moi – j’essayais de comprendre ce qui ensuite a pu les faire basculer dans un quotidien quasi inhumain. Pour d’autres, l’incohérence des discours accompagnée parfois d’un petit grain de folie ou d’humour sont tels que j’en rigolais presque. Cela m’aide d’ailleurs à prendre un peu de recul pour ne pas rapidement être submergée par mes émotions (hypersensible de nature…).
***
Ma première maraude m’a permis de casser un premier préjugé : il y a peu d’individus alcoolisés et agressifs. Il y a certes quelques exceptions mais il est temps d’arrêter de généraliser.
J’ai trouvé les sans-abris globalement calmes et avenants. Quelques-uns restaient en retrait, habitués à être isolés ou honteux peut-être. D’autres souhaitaient échanger des banalités ou demandaient notre avis sur les tailles de vêtements par exemple. Et certains sont très bavards et amusants, enchainant les monologues et les blagues.
Nous rencontrons sur nos itinéraires majoritairement des hommes, âgés en moyenne entre 50 et 70 ans (nous avons peut être tendance à les vieillir mais les conditions dans lesquelles ils vivent accentuent sûrement leurs traits physiques). Sans connaître de données chiffrées et n’étant pas experte dans le domaine de l’employabilité en France, je me demande s’il n’est pas plus difficile pour cette tranche d’âge de rebondir rapidement après une difficulté professionnelle (i.e. : licenciement ou faillite) et éviter ainsi une
L’immigration est également un fléau, certains sans-abris parlant peu voire pas du tout le français. Un obstacle supplémentaire pour s’intégrer dans la société.
Il semblerait que certains sans-abris ont un emploi mais dont la rémunération ne leur permet pas de trouver un logement décent. Ils ne peuvent sans doute pas remplir les nombreux critères que les propriétaires et agences immobilières requièrent dans un dossier de candidature. A contrario, certains ont un logement et bénéficient des aides étatiques en vigueur, aides qui sont malheureusement insuffisantes pour se nourrir et se vêtir convenablement.
Quant aux femmes que j’ai rencontrées, elles sont moins nombreuses. Il est rare de les trouver seules et sont souvent accompagnées d’hommes.
***
Histoires touchantes et amusantes
- L’enfant « fracassé » :
Homme d’origine martiniquaise, la 50aine, allongé sous quelques couvertures. Après avoir donné son avis sur la politique de certains présidents (Obama, Macron) – Il fallait se concentrer pour comprendre ce qu’il disait – il a mentionné à plusieurs reprises les maltraitances sur les enfants et répétait le terme « fracassé ». Au fur et à mesure, nous comprenions qu’il avait été « fracassé ». Nous l’avons écouté pendant un bon quart d’heure avant de partir.
Il nous adressait également des « je t’aime » entre deux discours et trois éclats de rire.
Une rencontre intéressante avec un homme d’origine arabe qui parlait l’italien et le français. « Domicilié » dans le tunnel de Châtelet, j’ai été surprise par sa collection de fleurs superbement entretenues malgré l’absence de lumières. N’étant pas du tout « main verte », j’ai cherché à trouver l’astuce sans oser lui demander.
C’est un bavard. De la géopolitique (qui, honnêtement, intéressait plutôt les garçons bénévoles) aux créations de cocktails « bien-être » miel-gingembre et épices médicinales, sa blague la plus marquante était la suivante : « si la France est riche, c’est parce que les arabes mangent du pain) – nous lui avions notamment donné une baguette ! ☺
Nous étions prévenus. Ne pas s’approcher d’elle au risque de se faire insulter… Une des bénévoles a voulu tenter l’expérience et s’est dirigé vers elle. Restés éloignés, nous étions tout de même suffisamment proches pour entendre la femme crier : « c’est une heure pour dormir espèce de c****sse ».
Nous n’avons pas insisté.
Etant particulièrement sensible face aux sans-abris très âgés, j’ai été touché par celui-ci. Couché sur des cartons sous lesquels des livres étaient dissimulés. Un ouvrage de fiction était ouvert à ses pieds. Je lui ai demandé ses préférences littéraires et lui ai dit que je reviendrai lui donner des livres (le lendemain, j’y suis retourné à l’endroit où nous l’avions rencontré mais il n’y était plus).
- L’enseignant berbère-grec
Cet homme m’a également beaucoup émue. Nous l’avons d’abord rencontré sur un trottoir, en plein air avant de le retrouver à son « domicile » dans un des tunnels de Châtelet…rempli de rats (j’essayais de penser à Ratatouille).
Hassan, originaire de Marrakech, il a vécu pendant 25 ans en Grèce. Son fils, Dionysos, habiterait là bas. Diplômé d’un bac scientifique et ancien enseignant (a priori), nous avons eu le droit à un cours particulier de grec passionnant sur les bases grecques :
– métropole : metro = maître/ polis = ville, cité => ville-maître, ville maitresse ;
– terme + phile : phile = ami => cinéphile : celui qui aime le cinéma ; bibliophile = celui qui aime les livres ;
– terme + logue : logue : langue => psychologue = langage de la psyché ; podologue : podos = pied => langage des pieds, etc ;
– mélissa = abeille ;
– démocratie : démos = peuple/ kratos = pouvoir, puissance => la puissance du peuple ;
En conclusion, cette activité solidaire que je prends très à cœur est une véritable expérience, très enrichissante pour moi et constructive humainement.
Je pense que, le plus important pour eux, c’est de les considérer tout simplement comme des êtres humains, se mettre à leur hauteur pour échanger, les écouter et ne pas avoir pitié d’eux. Restons authentiques !
Texte de Tiphaine L